« Mais l’homme ne peut vivre dans le chaos. (…) L’homme doit s’envelopper dans une vision, se bâtir une demeure à la forme, à la stabilité, à la fixité apparentes. Dans sa terreur du chaos, il place d’abord une ombrelle entre lui et l’éternel tourbillon. Puis il peint l’intérieur de cette ombrelle comme un firmament. Ensuite il parade, vit et meurt sous son ombrelle. »
D. H. Lawrence (1885-1930)
Dans Chaos in Poetry de D.H. Lawrence, écrit en 1928, le chaos est l’objet central. Dans une volonté d’exposer son point de vue sur la «vraie» poésie et développer sa notion du «chaos vivant», l’auteur se place au cœur de la tradition du poète visionnaire. Ses poèmes se colorent d’un monde insoupçonné, d’images terrifiantes, aux visions éblouissantes d’un chaos d’humanité, cosmique, intime, vital. Son art lie des notions essentiels de vie et de flux mouvants.
Les poètes visionnaires se rejoignent dans leur désir commun de découvrir de
nouveaux rythmes et d’abolir les conventions, leur manière respective d’exprimer ce désir diffère souvent très sensiblement. Le travail de Lawrence s’appui sur la sincérité poétique en jetant l’anathème sur la tendance dépersonnalisant de tout système « esthétique », de toute technique. Pour lui c’est « une émotion instantanée qui s’accélère», tout contrôle sur le chaos intérieur serait la perte de l’expression poétique.
Dans le design graphique, le concept chaotique se retrouve également dans les productions. Ils regagnent des concepts comme l’asymétrie qui est régie par une disposition irrégulière et non linéaire. Elle apporte un dynamisme, du mouvement dans une composition, mais peut aussi conférer au visuel des dispositions plus organiques, moins rigides.
Ces symétries perturbées et le principe chaotique se rejoignent dans le domaine du design. Ils partagent tous deux une absence de symétrie parfaite. Dans l’art, ces systèmes sont bien souvent une réaction à ce principe ordonnateur de base.
L’esthétique chaotique rompt avec l’ordre établi. Il s’utilise de manière délibérée pour complexifier une composition. On retrouve ce concept plus souvent qu’on le pense, notamment dans les années 70s, 80s, 90s où les mouvements alternatifs comme la New Wave graphique, s’exploitent à ce principe. Ce nouveau mouvement prône la fusion des nouvelles technologies et du graphisme, à travers une imagerie hybride. En Grande-Bretagne, le magazine i-D reflète la mode des années 80 à travers un traitement éclectique, voire chaotique encourageant le « design instantané ». La frontière de la lisibilité et de la cohérence est fine. L’utilisation du chaos dans le design demande une maîtrise particulière et une intentionnalité pour éviter une perte de sens et/ou la confusion. Pourquoi et comment les graphistes se réapproprient les “principes chaotiques” ? Quel est l’intérêt d’un design subtil à maîtriser ? Est-il efficace ?
On étudiera dans cet article le concept chaotique en vue de démêler et de comprendre l’intérêt de ce principe. Un point de recontextualisation sera important, puis l’appui sur la New Wave graphique nous permettra de décrypter les moyens techniques, l’intérêt entropique et son rapport aux sociétés modernes.
